Pursuant to a hearing of 5 September 2006, the Belgian
Court of First Instance sitting in Brussels [Tribunal de Premiere Instance de Bruxelles] issued the following
Order.
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DE BRUXELLES
N° 2006/9099/A du rôle des référés
Action en cessation
En cause de:
La société civile sous forme d’une société coopérative â responsabilité limitée COPIEPRESSE, inscrite
dans la SCE 0471.612.218, dont le siège social est établi à 1070 Anderlecht, boulevard Paepsem, 22,
partie demanderesse,
représentée par Me Bernard MAGREZ avocat à 1180 Bruxelles, avenue Winston Churchill, 149;
contre:
La société de droit américain GOOGLE Inc., dont le siège social est établi à Mountain View, 94043 California,
USA, 1600 Amfitheather Park Way,
partie défenderesse,
défaillante;
Dans cette cause, il est conclu et plaidé en français à l’audience publique du 29 août 2006;
Après délibéré le président du tribunal de première instance rend l’ordonnance suivante:
Vu :
- la citation introductive d’instance signifiée le 3 août 2006;
OBJET DE LA DEMANDE
La demande portée devant le tribunal de céans est fondée sur l’article 87 de la loi du 30 juin 1994
relative aux droits d’auteurs et aux droits voisins.
Elle vise à
- constater que les activités de Google News et l’utilisation du « cache » de Google violent notamment
les lois relatives aux droits d’auteurs et aux droits voisins (1994) et sur les bases de données (1998);
- condamner la défenderesse à retirer de tous ses sites (Google News et « cache » Google sous quelque
dénomination que ce soit), tous les articles, photographies et représentations graphiques des éditeurs
belges de presse quotidienne, francophone et germanophone représentés par la demanderesse à dater de
la signification de l’ordonnance, sous peine d’astreinte de 2.000.000,-€ par jour de retard;
- condamner en outre la défenderesse à publier, de manière visible, claire et sans commentaire de sa
part sur la home page de ‘google.be’ et de news.google.be’ pendant une durée ininterrompue de 20 jours
l’intégralité du jugement à intervenir à dater de la signification de l’ordonnance, sous peine d’astreinte
de 2.000.000,- € par jour de retard.
CADRE DU LITIGE
1. La qualité de la demanderesse
Attendu que la demanderesse est la société de gestion des droits des éditeurs belges de presse quotidienne
francophone et germanophone autorisée (par les Arrêtés ministériels des 14 février 2000 et 20 juin
2003 publiés au Moniteur belge du 10 mars 2000 et du 14 août 2003) à exercer ses activités sur le
territoire belge ;
Attendu que son objet est la défense des droits d’auteur de ses membres (droits propres aux éditeurs
et droits acquis auprès des journalistes) et le contrôle de l’usage par des tiers des oeuvres protégées
de ses membres;
Attendu que les journaux et sites de la presse écrite sont notamment protégés par les lois sur le droit
d’auteur (1994 et 2005) et sur les bases de données (1998) ;
Attendu que la production des oeuvres journalistiques est réalisée par la publication classique de
quotidiens, magazines suppléments sous forme à papier ou, depuis l’émergence des nouvelles technologies,
sous format numérique ou digital ;
Attendu que l’exploitation secondaire se réalise par la copie du document papier et, depuis l’émergence
des nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’exploitation secondaire peut
être effectuée par des procédés électroniques (scanning, capture de site web et rediffusion via des
sites web ou internet ou extranet ou emailing, etc...) ;
Attendu que cette exploitation secondaire par la voie électronique d’articles de presse est également
régie par les lois sur le droit d’auteur (1994 — 2005) et sur les bases de données (1998) ;
Attendu dès lors que la demanderesse, qui représente les intérêts des éditeurs de journaux, a intérêt
et qualité pour agir aux fins de protéger leurs droits;
2. Les faits
Attendu que le moteur de recherche Google a, dans le courant de l’année 2003, présenté un nouveau
service appelé Google News ou Google Actualité, exercé par la société défenderesse;
Attendu que la nouvelle fonctionnalité vise à offrir aux internautes une revue de presse qui se base
sur une sélection automatique des informations contenues dans les serveurs web de la presse écrite ;
Que, pour ce faire, Google News doit scruter dans les serveurs web de la presse écrite et en extraire
les articles pour les copier et/ou en faire des résumés automatiques, alors que les sites dont émanent
les articles diffusés, et notamment les sites des éditeurs de journaux dont les intérêts sont défendus
par la demanderesse, comportent les mentions selon lesquelles ces sites sont protégés par le droit
d’auteur;
Attendu que Google n’a pas recueilli l’accord de ces différents sites pour procéder à cette ordonnancement
de l’information qui est laissée en quelque sorte à sa seule discrétion dès lors qu’elle est titulaire
de la technologie et des algorithmes permettant l’automatisation et la systématisation, de la reproduction
des articles disponibles sur internet ;
Attendu que cette situation a suscité des difficultés non seulement en Belgique mais dans d’autres
pays ;
Attendu qu’en Belgique, la demanderesse a déposé une requête en saisie description fondée sur les
articles 1481 et suivants du Code judiciaire entre les mains du juge des saisies du tribunal de céans ;
Que, par ordonnance du 27 mars 2006, l’expert Luc GOLVERS a été désigné;
Attendu que l’ordonnance le désignant a été signifiée à la défenderesse le 13 avril 2006;
3. Le rapport d’expertise
Attendu que l’expert GOLVERS, qui avait notamment pour mission de décrire la manière dont sont présentés
les articles de presse et l’interactivité entre le visiteur et le site web de Google News, conclut
que « Google News est à considérer comme un portail d’information et non un moteur de recherche. »;
Qu’il relève que le service Google News se qualifie lui-même comme un site d’information en ligne,
en ces termes « Cette diversité de perspective et d’approche est unique parmi les sites d’information
en ligne et nous considérons comme une tâche essentielle de vous aider à rester informés sur les sujets
qui vous importent le plus. »;
Attendu qu’il relève que le site est alimenté à l’aide des informations puisées dans la presse, ce
qu’il a mis en évidence en procédant à de nombreux tests à partir de sites d’information de différents
quotidiens francophones belges ;
Attendu que ces recherches l’ont notamment conduit à mettre en évidence que, lorsqu’un article est
toujours en ligne sur le site de l’éditeur belge, Google renvoie directement, via le mécanisme d’hyperliens
profonds, vers la page ou se trouve l’article mais que, dès que cet article n’est plus présent sur
le site de l’éditeur de presse belge, il est possible d’en obtenir le contenu via l’hyperlien « en
cache » qui renvoie vers le contenu de l’article que Google a enregistré dans la mémoire « cache »
qui se trouve dans la gigantesque base de données que Google maintient dans son énorme parc de serveurs ;
Attendu enfin qu’il se déduit du rapport de l’expert que :
- le mode de fonctionnement actuel de Google News fait perdre aux éditeurs de presse quotidienne le
contrôle de leurs sites web et de leur contenu (voir à ce sujet les tests menés par l’expert qui
montrent les effets d’un retrait d’article, pages 42 à 67 du rapport) ;
- l’utilisation de Google News contourne les messages publicitaires des éditeurs lesquels tirent une
partie importante de leurs revenus de ces insertions publicitaires (pages 13 à 18, 108 à 119 du rapport) ;
- l’utilisation de Google News court-circuite de nombreux autres éléments comme les mentions relatives
à l’éditeur, les mentions relatives à la protection des droits d’auteur et aux usages autorisés ou
non des données, des liens vers d’autres rubriques (par ex. les dossiers thématiques constitués par
les éditeurs, pages 108 à 119 du rapport);
- l’utilisation du « cache » de Google d’une part permet de contourner l’enregistrement demandé par
l’éditeur et d’éluder le paiement de l’article de presse (voit le cas du Soir en ligne décrit par l’expert
en pages 35 à 38), d’autre part stocke, en vue de sa rediffusion, l’entièreté de l’article (dans l’état
où Il se trouvait lors de son édition la plus récente) (pages 68 à 98-99 du rapport)
4. Identification de l’identité de l’exploitant de Google et de Google News
Attendu que l’expert s’est notamment vu conférer la mission de déterminer l’identité de l’exploitant
du DNS ‘Google.be’, ‘Google.fr’ et ‘Google.com’;
Attendu que les examens qu’il a menés à cet égard (pages 124 à 134) mettent en évidence que le propriétaire
du site ‘news.google.be’ ainsi que celui des domaines ‘google.be’ et ‘google.fr’ est à chaque fois
la partie défenderesse, Google Inc., 1600 Amfitheater Park Way, Mountain View, California 94043;
5. Le préjudice occasionné à la demanderesse
Attendu que la demanderesse se plaint de ce que les activités de Google Inc. mettent en péril la vente
électronique des articles de presse mais également toute la presse quotidienne ainsi qu’à court terme
la qualité des articles puisque les éditeurs risquent de ne plus bénéficier de ressources suffisantes
pour rémunérer correctement leurs journalistes ;
Qu’en effet, et comme l’a mis en évidence le rapport d’expertise, l’activité de la défenderesse est
de nature à faire perdre aux éditeurs une part importante de leurs revenus tirés des recettes publicitaires
qu’ils perçoivent ;
Qu’indépendamment de ce préjudice financier immédiat, la vente électronique d’articles est menacée,
ainsi que le ressources tirées de l’archivage des articles, dont la consultation est payante;
6. Mesures sollicitées
Attendu que la violation des dispositions relatives aux droits d’auteur justifie que les mesures telles
que sollicitées par la demanderesse et reprises au dispositif des présentes soient ordonnées;
7. L’astreinte
Attendu que la demanderesse sollicite du tribunal qu’en cas de manquement aux mesures dont elle demande
le bénéfice, une astreinte de 2.000.000,- € par jour de retard soit prononcée dans l’hypothèse où la
défenderesse ne se conformerait pas à l’ordre de retirer de tous ses sites les articles, photographies,
représentations graphiques des éditeurs belges de presse quotidienne francophone et germanophone ainsi
qu’une astreinte de 2.000.000,- € par jour de retard faute pour la défenderesse de publier sur la home
page de ‘google.be’ et de ‘news.google.be’ pendant une durée ininterrompue de 20 jours l’intégralité
du jugement à intervenir à dater de la signification de l’ordonnance ;
Attendu qu’elle motive l’importance de cette demande par le fait que la défenderesse affiche un chiffre
d’affaires de près de 13 millions de dollar par jour;
Qu’elle met également en évidence la capacité technique de la défenderesse de retirer du contenu de
ses bases de données les articles et informations litigieuses en manière telle qu’elle ne s’expose
pas à de grandes difficultés pour s’exécuter;
Attendu que le tribunal de céans ne manque pas d’être surpris par l’attitude de la défenderesse qui
n’a pas jugé utile de participer à la mission d’expertise, malgré les invitations qui lui avaient été
adressées par l’expert judiciaire, et qui ne comparaît pas ;
Attendu que cette attitude constitue une indication de ce que les craintes que nourrit la demanderesse
sur la mauvaise volonté que mettra à la défenderesse à s’exécuter pourraient être fondées ;
Qu’il ne peut être admis par ailleurs qu’elle persiste à retirer un bénéfice élevé à l’aide, notamment,
du travail intellectuel d’autrui, tout en spéculant sur les difficultés qu’éprouvent les auteurs et
éditeurs de journaux dans un contexte technologique extrêmement complexe pour mettre fin à cette appropriation
illégitime de leur travail ;
Que l’attitude de la défenderesse est d’autant plus surprenante que dans d’autres pays, certes plus
importants que la Belgique, la défenderesse s’est engagée dans des négociations avec les éditeurs de
journaux pour résoudre la question du respect des droits d’auteur;
Attendu qu’il résulte de l’expertise que les capacités techniques dont dispose la défenderesse, et
qui sont hors de proportion avec les moyens de la presse écrite francophone d’un pays comme la Belgique,
lui permettent d’adopter une attitude qui confine à l’indifférence, alors qu’elle retire un bénéfice
de la diffusion sur la toile d’un contenu qui a nécessité la mise en commun de moyens rédactionnels
et éditoriaux importants de la part de journalistes et d’éditeurs de journaux, dont l’activité est
essentielle dans une société démocratique ;
Attendu que dans cette mesure, il paraît effectivement indiqué d’assortir les mesures d’interdiction
ordonnées d’une astreinte, au risque qu’elles soient dépourvues de toute efficacité;
Qu’il paraît approprié au tribunal que celle-ci soit déterminée comme suit:
- retrait des articles de tous les sites : 1.000.000,- € par jour de retard dans les 10 jours de la
signification de l’ordonnance à intervenir;
- la publication pendant 5 jours de l’intégralité du présent jugement : 100.000,- € par jour de retard
dans les 10 jours de la signification de l’ordonnance à intervenir;
PAR CES MOTIFS,
Nous, G.M.R. Tassin, juge désignée pour remplacer le Président du
Tribunal de première instance de Bruxelles;
Assistée de V. Hubrich, greffier;
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire;
Rejetant toutes conclusions autres plus amples ou contraires;
Déclarons la demande recevable et fondée dans la mesure ci-après:
- constatons que la défenderesse ne peut se prévaloir d’aucune exception prévue par les lois relatives
aux droits d’auteur et aux droits voisins (1994) et sur les bases de données (1998);
- constatons que les activités de Google News et l’utilisation du « cache de Google » violent notamment
les lois relatives aux droits d’auteur et aux droits voisins (1994) et sur les bases de données (1998);
- condamnons la défenderesse à retirer de tous ses sites (Google News et « cache » Google sous quelque
dénomination que ce soit), tous les articles, photographies et représentations graphiques des éditeurs
belges de presse quotidienne francophone et germanophone représentés par la demanderesse dans les 10
jours de la signification de l’ordonnance à Intervenir, sous peine d’une astreinte de 1.000.000,- €
par jour de retard ;
- condamnons en outre la défenderesse à publier, de manière visible, claire et sans commentaire de
sa part sur la home page de ‘google1be’ et de ‘news.google.be’ pendant une durée ininterrompue de 5
jours l’intégralité du jugement à intervenir dans les 10 jours de la signification de l’ordonnance
à intervenir, sous peine d’une astreinte de 500.000,- € par jour de retard
Condamnons la défenderesse aux dépens liquidés à 941,63 € (citation) et 121,47 € (indemnité de procédure);
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique des référés du 5
septembre 2006.
V. HUBRICH G.M.R.TASSIN